Écume de Dieu

Lorsqu’elle revêt les habits de la charité

Elle a la beauté

De l’écume, semence du Ciel créateur.

*

La nuit de ses yeux et de ses cheveux, cascade

D’encre sont un voile

De pudeur, et une amoureuse cavalcade.

*

Elle a la beauté de la Douleur du Vendredi Saint

Cherchée par les poëtes

Et les fous qui recherchent son baiser en vain.

*

Sa voix est le vin que Dieu donne aux pauvres, et aux lépreux

Pour leurs cœurs vidés

D’amour; et ses pommes sont une promesse pour le preux.

*

Traversant la nuit, la ville telle une pluie de flèches

Elle a la beauté

De celle qui l’ignore et que la lune lèche.

Air de conque

Figurez vous une après midi

De printemps, un vase Ming touché

Par les chauds rayons du lundi

Ou la pluie qui tombe sur la forêt.

*

Imaginez les steppes interminables

De l’Asie, brûlantes et mirageuses

Les temples des Dieux impitoyables

Parcourus de hordes tapageuses.

*

Mille poètes ont chanté son nom

De déesse renouvelée

Et frappé du sceau de Junon

Et de son bâton barbelé.

*

Sans cesse elle fut la rose

Et nous fûmes le triste rossignol

Que la grande nuit marine arrose

D’étoiles abandonnées au sol.

*

Et de ses pieds, et de ses seins

Blancs comme l’écume de mer

Dont elle est née, et de ses reins

Où se roulerait le Tigre amer;

*

Je brûle, buisson messager de Dieu

Venu chanter une vérité

A trois syllabes, un nom merveilleux

Comme Nassimi m’avait précédé.

*

Pot d’encre renversé sur le lit

Mes mains parcourent ses cheveux

Et de ses fesses l’aphélie

Ma langue dans son œil rose et honteux.

*

Le rythme salé des vagues

Et le Ciel immortel et bleu

De nos amours chaudes et vagues

Qui s’étreignent, s’éteignent peu à peu.

Argos

Je garde au creux de mon esprit

Creux comme un chêne moussu

La vieille image de ton corps

De dryade aux cheveux d’or

De ta bouche aux lèvres fessues

Et de ton rire dont je m’épris.

*

Il pleut, il ne cesse de pleuvoir

Sur mes mains, et dans mon cœur

Enfermé au fond du cercueil d’os

De ma poitrine, et tel un sacerdoce

Je m’astreins à cultiver la fleur

De ce souvenir souvenir illusoire.

*

Le vent chante et chuinte par mes côtes

Ouvertes au courroux de l’Océan

Et de ses anciennes puissances

Bleues et vertes volant avec aisance

Dans tes yeux tel un vol de goélands

Raillant le voyage des Argonautes.

*

Et l’Argos peu à peu disparaît

Voiles blanches gonflées, marins

L’esprit fixé vers le Léthé

Oubliant celles qui les ont allaités

Se jetant vers de gris lendemains

Ils s’en vont avec désintérêt.

*

Et sur les rochers reste Médée

Ivre de douleur et le sein nu

Maudissant les Dieux et ses enfants

Mêmes, dont les rires comme un oliphant

Dit « Jason » et le sang répandu

Par une pauvre femme obsédée.

La prêtresse

De la nuit, une voix brune et dorée

« Marche, marche par le grand pont d’encre

Et entre en mon poème rédigé

Par Apollon, ô conquérant entre ! »

*

Ses lignes ont l’odeur du cerisier

Et ses ratures sous ma langue

Ne parviennent à me rassasier

Tant sa lecture me laisse exsangue.

*

Encore sa voix de cuivre et d’opium

Raisonnant tel un ordre de sang

A mon cœur, ouvert à Sodome

Et à ses vices éblouissants.

*

Froide est la lune qui caresse

Mon baiser brûlant sur ses pieds

Et dans son soupir aux déesses

Noires, je me sens enfin ployer.

Infinité de jambes et de bras

Voilà le Vide étreignant la Sagesse

*

Bois, bois le miel de mon âme, vers l’éveil

De mon cœur, courroux de ma Soif.

*

Et nos mains, et nos bouches, et tes seins, sous la vague

De nos baisers; sel d’Aral, cœur pourpre.

*

Et ce fourreau qui fait plier le roi,

Le Shah, le Khan, le César, épée de bois.

*

Et je bois l’eau de jouvence, perles de pluie

Au creux de ton nombril, de ta fleur.

Poème antique

Deux doigts, plonger dans les yeux

Du noir corbeau : suspension

De mon vit, frondaison

Sous ton baiser soyeux.

*

Tes reins sont un troupeau de chevaux

Sauvages qui défilent sous mes mains,

Nuages sous les Dieux anvots

Et jaloux de nos baisers mutins.

*

Le Grand Cyrus sur tes seins

A épinglé deux grenades,

Rouges et mûres, souvenir coquin

Des Immortels sous les colonnades.

*

Et au fond de ton Paradis

Velu vit tel un dévot, fou,

La langue punie par les kadis

D’un poète aux yeux de hibou.

Sur un air de târ

Avec bonheur dans ce delta je plonge

Où un serpent d’opium goutte, fragments

De nos rêveries humides qui se prolongent

Sous tes jambes élevées au firmament.

*

Qu’il est difficile de t’adorer, déesse

Aux lèvres de velours tressé d’un poème antique

Et chuchoté comme un péché que l’on confesse

Des cimes du Tibet jusqu’à l’Atlantique.

*

Mais qu’il est agréable de te boire, nectar

Divin, céleste nourriture pour mon cœur

Et mon âme plus lourde que le târ

De tes hanches dont les cordes résonnent en chœur.

Sueurs de mer

Cercueil vide, les draps ont gardé ta trace :

Je dors dans un tombeau portant ton odeur,

Odeur de tes cheveux, de tes seins, sueur

Coulant entre tes reins et tes baisers voraces.

*

Je te ferai l’amour dans un tableau

De Chagall, et les couleurs couleront

De nos corps enfiévrés, tourbillons

De ta blondeur en immense falot.

*

Et sous l’immense pinceau du désir,

J’irai en toi comme le navire de l’amer

Submergé, bâbord, tribord, par la mer;

Sueur, odor femina, et cris de plaisir.

*

Écoute un peu ce poète infernal,

A la recherche de son Aimée :

Il n’est pas plus loin dans les fosses enflammées

Que je ne le suis entre tes cuisses animales !

*

Des Hespérides, voilà enfin les Fruits

Sous mes mains : pêches roses et lourdes

Et toujours en moi la mélodie, lente et sourde,

De tes soupirs, gémissements et mille bruits !

*

Tu es la nocturne fanfare du plaisir que j’étreins,

Que j’éteins, lèvres, vit, saillant tes chairs indociles,

Mes doigts tirant tes cordes d’or; imbécile,

Je pense être Achab, je suis Ismaël mal peint !

*

Et toujours le roulement de la mer

Entraîne vers d’infinies abysses

Mon membre dur vers de profonds délices;

Cœur vertical, palpitant mais amer.

Et l’écume

Sueur, amour mélancolique,

Coulent entre tes reins rose-ivoire

Au rythme de ma houle angélique

Et de gémissements dans le noir.

*

C’est la chair, la chair que tu célèbres

Sous mes mains, le doux giron de nacre

– caresses, pincements- et au Sacre,

J’enfouis mes doigts dans tes chaudes ténèbres.

*

Pour ce royal sacrifice, donc voici

Rouge et de désir gonflée, ma mentule

Comme un gros sceptre, un tentacule :

Voici Vénus avec l’écume pour habit !

*

Voilà l’écume, c’est nos chairs qu’elle inonde,

Et nos cœurs, et nos poils, dans la nuit

Et sur nos peaux brûlantes, elle luit,

Et emporte avec elle tout notre Monde.