Rose et rossignol

« Combien d’hommes éclairés sont devenus déments par ton amour ! Combien d’hommes sensés sont devenus fous de désir pour toi ! » Mehmet II

J’ai vêtu pour te rejoindre les entrailles

Et le corps d’un cheval immense et fougueux,

Au crin de nue, au sabot orageux,

Pour retrouver le palais et le sérail.

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Tout recouvert de sang et de puanteur,

Comme tu l’avais fait du point du jour;

Et la lune seule dessinait le parcours

De baisers futurs posés ainsi que des fleurs.

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Dans tes cicatrices des villes tombées

Et oubliées aux mains de rois anonymes

Depuis longtemps, qu’ils fussent cruels ou magnanimes,

Leurs bouches et leurs mains se sont refermées.

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Le rose de tes seins a fait de ma bouche

Un joyeux rossignol, volant à tire d’aile

Du fond des steppes avecque chevaux et chamelles,

Pour s’éteindre et puis mourir sur ta couche.

Entre deux III

Belle et lasse comme un jardin sous la pluie,

La foudre a laissé entre ses deux seins ronds

Une marque, un trou, un peu comme un oubli,

Bataille acharnée, souvenir profond.

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Sur sa longueur s’étire un doux paysage

Et aux creux de ces steppes mal conquises,

Mal comprises, des tours et des palais sans âge,

Fissurés d’histoires et d’amours exquises.

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Un rire, tel une fontaine, au creux de ses jambes

Pâles d’un hiver trop long et d’un printemps

Fébrile sous ses fleurs pâles, et pourtant l’ambe

A coup sûr m’a guidé en ce lieu épatant.

Paysages

« Si on ouvrait les gens, on y trouverait des paysages,

Moi si on m’ouvrait, on trouverait des plages »

Agnès Varda

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Si on plantait dans mes pieds des clous de fer,

On y trouverait les montagnes et le désert

Tout ornés d’éternelles neiges et de prières,

De mariales dévotions, de larmes amères.

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En crevant mes poumons d’une longue lance

En sortirait probablement sans violence

L’ultime et fragile soupir de l’Existence,

Écorché sur la place d’Alep pour offence.

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Une fois mon ventre ouvert et mes entrailles

Fumantes répandues telle une muraille,

Vous verriez la large plaie du samouraï,

Le parfum des cerisiers et l’odeur de ferraille.

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Disséquez donc patiemment pour finir

Mon cœur battant et saignant à en mourir;

Vous verrez, entre les ventricules, hennir

Mille chevaux et des dômes bleuir.

« Lasciate ogni speranza vuoi ch’entrate »

Dante Allighieri

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Venu du fin fond de l’Asie, ton désir

M’assaille et me piétine, auréolé

De miel, d’encens et de soleil bleuté,

Accrochés à tes seins ronds d’hétaïre.

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Et plongeant mon regard dans l’aveuglante

Noirceur de Ton manteau, tout me perd, m’égare,

Au plus profond de ton doux regard

Où je bois Sa Miséricorde bienveillante.

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Depuis son tombeau de sable et de poussière,

Un poète soupire qu’il rejoindra

Sa bien-aimée à la force de ses bras

A travers les forteresses et les mers.

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Et moi dos courbé comme un janissaire,

J’avance vers le Salut de tes bras blancs,

De tes lèvres roses, le cœur tout tremblant

Et les paumes comme percées par des serres.

Les parfums

Son interminable chevelure d’ébène

Plus longue encor que le Livre des Rois

Sent le jasmin et le vieux bois;

/

Le creux de ses poignets de jeune fille

Où s’accroche un ruban couleur de sang

A l’odeur d’un gémissement;

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Au bas de ses reins il y a un repli

Charmant, une grenouille y logerait à peine

Et cela embaume fort la verveine.

/

Dans son nombril verserait mon Monde

Dans une seule goutte de pluie

Au doux parfum de fleurs et de fruits.

Peindre

Peindre

Sur un minuscule morceau de papier

A la méthode lente et antique

Du maître de Bagdad Djoneid

Peindre

Sur ton ventre dans tes cheveux de soie

Les batailles féroces de nos baisers

Comme autant d’affrontements fantastiques

Peindre

Les dômes de ta poitrine d’ivoire

Savoir pouvoir y revenir chaque nuit

Piquée de fleurs de coton charnues

Peindre

Qui éclaire la profondeur de tes yeux

Billes de charbon roulant la compassion

Pour la blanche biche et le nécessiteux

Peindre

Peindre

Du bout de mes doigts

De mes émois

Main de Dieu

La lune d’Assyrie décore ton cul

Tel un lustre suspendu au ciel

De minuit, et ta bouche de miel

Me terrasse tel Alexandre l’Invaincu.

/

Et si à la soie rouge du sari

De tes seins gorgés de nuit j’ai pu manquer,

J’y plonge, ô la première des houris,

Sous cet immense portique nacré.

/

C’est le vin noir du Divin que je bois

Au creux rose de tes lèvres et de tes hanches

Quand chante la huppe; et c’est avecque joie

Que je m’ennivre de ce jus à gorgées franches.

/

Tu me changes en instrument dont toi seule

Connaît le jeu et les accords, la façon

De jouer des cordes et, nue au milieu des glaïeuls,

De tirer de mon corps d’angéliques sons.

/

Un vol de grues passe en une ombre légère

Sur le pâle creux de tes reins,

Voile délicat de mes doigts et de mes lèvres

Qui scelle notre Amour dans l’or et l’airain.

باغ لاله ها

Tels les cavaliers de ce sultan afghan,

Tu as pénétré et saccagé mon cœur

Et mon corps, le blé et les roses, élégant

Carnage de toutes les couleurs.

*

Et sous la poussière je demeure immobile

Et sourd ainsi qu’un tombeau de pierre bleue

Et moi, toujours dressé et indocile

Vers le Tout-Puissant, je contemple Tes yeux.

*

C’est ton baiser qui en moi tranche le Bien

Et le Mal, tes caresses qui éveillent

Venu de la terre le souffle chaud et ancien

De l’Amour brûlant qui en moi sommeil.

*

Notre étreinte consume la nuit, voile bleu

De l’ignorance, déchire sous nous soupirs

Exaltés de désir et lumineux

Les ténèbres de la soif et du mourir.

*

Je bois au Graal de tes hanches et l’aurore

Effleure ta peau pout écrire le Divin,

L’Eros et l’Agapè en lettres d’or,

De tes pieds jusqu’à la pointe de tes seins.

Jannah II

Chacun de tes baisers est une goutte

De l’univers; et tel un faucon j’y plonge

Pour jouir du rosé parfum de songe

De tes lèvres dans le Paradis dissoutes.

*

De tes seins telles des coupoles de marbre

Je serai le lion et le chien, dormant

A l’ombre fragile de l’iwan

Que dessine ton ventre sous les arbres.

« Je suis le soleil d’amour à l’horizon d’éternité. À l’instant où il se couche, il est dans l’ordre des choses que le soleil pâlisse » Imadeddine Nassimi

*

Sur tes seins j’écris en lettres de feu

Les quatre-vingt dix-neuf noms de Dieu

Pour ouvrir ton cœur.

*

Il me contemple de sa pourpre ardence

A la façon d’un derviche qui danse

Dans ta blanche poitrine.

*

Et dans le jasmin de ta chevelure

Du vin carmin je bois la brûlure

Au goût de steppe blanche.

*

Mon baiser au cœur de ton nuage noir

Est une prière qu’élève dans le soir

Marie-Madeleine au crâne de marbre.