Rose et rossignol

« Combien d’hommes éclairés sont devenus déments par ton amour ! Combien d’hommes sensés sont devenus fous de désir pour toi ! » Mehmet II

J’ai vêtu pour te rejoindre les entrailles

Et le corps d’un cheval immense et fougueux,

Au crin de nue, au sabot orageux,

Pour retrouver le palais et le sérail.

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Tout recouvert de sang et de puanteur,

Comme tu l’avais fait du point du jour;

Et la lune seule dessinait le parcours

De baisers futurs posés ainsi que des fleurs.

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Dans tes cicatrices des villes tombées

Et oubliées aux mains de rois anonymes

Depuis longtemps, qu’ils fussent cruels ou magnanimes,

Leurs bouches et leurs mains se sont refermées.

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Le rose de tes seins a fait de ma bouche

Un joyeux rossignol, volant à tire d’aile

Du fond des steppes avecque chevaux et chamelles,

Pour s’éteindre et puis mourir sur ta couche.

Entre deux III

Belle et lasse comme un jardin sous la pluie,

La foudre a laissé entre ses deux seins ronds

Une marque, un trou, un peu comme un oubli,

Bataille acharnée, souvenir profond.

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Sur sa longueur s’étire un doux paysage

Et aux creux de ces steppes mal conquises,

Mal comprises, des tours et des palais sans âge,

Fissurés d’histoires et d’amours exquises.

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Un rire, tel une fontaine, au creux de ses jambes

Pâles d’un hiver trop long et d’un printemps

Fébrile sous ses fleurs pâles, et pourtant l’ambe

A coup sûr m’a guidé en ce lieu épatant.

Les soupirs et les souvenirs dégoulinent

Le long de ses jambes, de ses reins insolents

Et vont mourir dans la vapeur féline,

A la façon d’un soleil rouge et somnolent.

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Ses seins et son sexe sont encore poisseux

D’un rêve, d’un voyage encore inconnus;

Et entre ses poils rampe le lys mousseux

Que je cueille, doigts tremblant et ingénus.

Entre deux II

Sur les dômes de ses seins dressés la foudre

Et l’écume de mes baisers fleuris,

Parfums de rose, de glycine et de poudre,

Elle est l’éternelle ville qui m’a conquis.

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Par Sa porte des flots de tambours, de drapeaux,

Et de soldats bigarrés et épuisés

Ont pris cette Cité, et sur sa peau

Dessinant de pourpres et vermeils assauts.

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Par mes yeux, par ma langue, j’ai bu ses trésors,

Les perles d’obsidienne de ses yeux,

Le diamant de son âme, et venu du Bosphore,

L’or de ses lèvres au doux parfum d’adieux.

Entre deux

C’est un nuage vêtu de soir entré

Par la fenêtre, vêtu de nuée bleue

Et au bout de ses mamelons étoilés,

Le Verbe fait chair, délicat et moelleux.

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Entre mes mains son esprit raisonne, palpite

Ainsi que les deux moitiés d’un cœur rougeoyant,

Enlacées comme nous, étreinte fortuite

De deux êtres baroques, deux étranges amants.

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Sur tout son ventre et tout son séant immenses,

Je pourrais écrire des vers et des chants

A son corps de déesse, de longues romances,

Et des airs de mort du lever au couchant.

ICTHUS

« Pourquoi s’inquiéter de la mort, quand on a l’essence de l’éternité ?

Comment la tombe peut-elle te contenir, quand tu as la lumière de Dieu ? »

Djalâlal-DīnRûmî

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Un cri de soleil a percé la Nuit, ma Nuit,

Et dans un cercle jamais vaincu,

Il a pris toutes les Douleurs qu’à vécues

L’Homme depuis l’aurore jusqu’à aujourd’hui.

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Joie des Juifs et des Romains, des Hommes et des Femmes,

Abreuve nous de ton Eau, rince nous

Du Sang des Désespéres qu’à genoux

Nous pleurons et réclamons de toute notre âme.

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Une belle-de-nuit, sein nu, blond cheveu,

A longtemps médité sur les ossements

Et la poussière; et de ce long enlacement

A jailli un « Hallelujah » merveilleux.

Paysages

« Si on ouvrait les gens, on y trouverait des paysages,

Moi si on m’ouvrait, on trouverait des plages »

Agnès Varda

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Si on plantait dans mes pieds des clous de fer,

On y trouverait les montagnes et le désert

Tout ornés d’éternelles neiges et de prières,

De mariales dévotions, de larmes amères.

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En crevant mes poumons d’une longue lance

En sortirait probablement sans violence

L’ultime et fragile soupir de l’Existence,

Écorché sur la place d’Alep pour offence.

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Une fois mon ventre ouvert et mes entrailles

Fumantes répandues telle une muraille,

Vous verriez la large plaie du samouraï,

Le parfum des cerisiers et l’odeur de ferraille.

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Disséquez donc patiemment pour finir

Mon cœur battant et saignant à en mourir;

Vous verrez, entre les ventricules, hennir

Mille chevaux et des dômes bleuir.

« Lasciate ogni speranza vuoi ch’entrate »

Dante Allighieri

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Venu du fin fond de l’Asie, ton désir

M’assaille et me piétine, auréolé

De miel, d’encens et de soleil bleuté,

Accrochés à tes seins ronds d’hétaïre.

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Et plongeant mon regard dans l’aveuglante

Noirceur de Ton manteau, tout me perd, m’égare,

Au plus profond de ton doux regard

Où je bois Sa Miséricorde bienveillante.

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Depuis son tombeau de sable et de poussière,

Un poète soupire qu’il rejoindra

Sa bien-aimée à la force de ses bras

A travers les forteresses et les mers.

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Et moi dos courbé comme un janissaire,

J’avance vers le Salut de tes bras blancs,

De tes lèvres roses, le cœur tout tremblant

Et les paumes comme percées par des serres.

Les parfums

Son interminable chevelure d’ébène

Plus longue encor que le Livre des Rois

Sent le jasmin et le vieux bois;

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Le creux de ses poignets de jeune fille

Où s’accroche un ruban couleur de sang

A l’odeur d’un gémissement;

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Au bas de ses reins il y a un repli

Charmant, une grenouille y logerait à peine

Et cela embaume fort la verveine.

/

Dans son nombril verserait mon Monde

Dans une seule goutte de pluie

Au doux parfum de fleurs et de fruits.

Peindre

Peindre

Sur un minuscule morceau de papier

A la méthode lente et antique

Du maître de Bagdad Djoneid

Peindre

Sur ton ventre dans tes cheveux de soie

Les batailles féroces de nos baisers

Comme autant d’affrontements fantastiques

Peindre

Les dômes de ta poitrine d’ivoire

Savoir pouvoir y revenir chaque nuit

Piquée de fleurs de coton charnues

Peindre

Qui éclaire la profondeur de tes yeux

Billes de charbon roulant la compassion

Pour la blanche biche et le nécessiteux

Peindre

Peindre

Du bout de mes doigts

De mes émois